Du nouveau pour le régime d'apport-cession: une bonne nouvelle pour l'écosystème Tech !
Dans son Manifesto publié lors de la campagne présidentielle de 2017, France Digitale encourageait les candidats à ressusciter le "compte-entrepreneur-investisseur". Derrière cette proposition, on retrouvait la même idée que celle qui avait donné naissance au mort-né Compte PME Innovation dans le cadre de la loi de finances 2017 ("designed by Bercy", tellement compliqué qu'aucun compte de ce type n'a été ouvert par un quelconque entrepreneur en 2017 et 2018 !).
L'idée générale est simple: il faut inciter les entrepreneurs qui ont cédé leur entreprise à ré-investir en encourageant la prise de risque et le recyclage de la création de valeur au sein des écosystèmes entrepreneuriaux. C’est sur ce cercle vertueux que la Silicon Valley a construit son leadership mondial…
Depuis 2000, ayant fait l'objet d'un fort durcissement dans le cadre de la loi de Finance 2013 (celles ayant donné lieu à l'épisode des Pigeons), le mécanisme d'apport-cession et de report d'imposition existe en France. Il s'agit pour l'entrepreneur d'apporter ses titres à une holding qu'il contrôle et de bénéficier d'un report d'imposition de la plus-value d'apport correspondante. En cas de cession des titres apportés moins de 3 ans après leur apport, le report d'imposition s'interrompt sauf si la holding ré-investit 50% des produits de cession dans un délai de 2 ans (suivant la cession) dans une (ou des) société(s) qu'elle contrôle et/ou en souscription au capital initial ou en augmentation de capital de sociétés. La souscription de parts dans des fonds (type FCPR) ou de sociétés de capital-risque n'était, par contre, pas considérée comme un ré-investissement éligible.
Dans le secteur de la Tech, où syndication et mutualisation sont les règles en matière d'investissement, le dispositif était fort contraint puisque l'entrepreneur souhaitant ré-investir se trouvait obligé d'investir en augmentation de capital de type "business angel" dans une myriade de sociétés ou de prendre le contrôle de business traditionnels auxquels il ne connaissait pas grand chose voire encore de participer à l'augmentation de capital de sociétés cotées en Bourse.
Depuis 2017, France Digitale a poussé le gouvernement à amender le dispositif pour que le ré-investissement dans des fonds (FCPR, FPCI, SLP) ou des sociétés de capital-risque (SCR) devienne éligible permettant ainsi à l'entrepreneur Tech d'investir dans son secteur de prédilection. L'article 150-O-B-Ter du code général des impôts a été amendé en ce sens le 28 décembre dernier lors du vote en seconde lecture de la loi de Finance 2019. C'est une belle avancée !
On notera cependant les points suivants:
le quota de 50% de ré-investissement permettant de ne pas interrompre le report est porté à 60% - on aurait préféré qu'il soit maintenu à 50% mais que le ré-investissement via des fonds soit lui discounté de 20% (la holding souscrit 100 dans un fonds mais seuls 80 sont pris en compte dans le quota de ré-investissement) ;
le d) du 2° du II de l'article qui décrit les différents véhicules éligibles connaît la complexité usuelle du "made in Bercy". Il en ressort que la plupart des véhicules de capital-risque seront éligibles mais que malheureusement les fonds de capital-développement effectuant des opérations de rachats minoritaires ou intervenant avec un mix d'actions et d'obligations convertibles auront du mal à tenir les ratios exigés - c'est dommage car notre écosystème a besoin de ce type d'acteurs pour prendre le relais du capital-risque ;
le nouveau dispositif ne connaît pas de rétroactivité et il n'est applicable qu'aux cessions intervenues à compter du 01/01/2019 - de quoi donner des regrets à ceux qui ont cédé leur entreprise au second semestre 2018 et qui sont en période de ré-investissement ;-)
La première et la deuxième réserve exprimées ici trouveront peut-être leur solution via amendements lors du vote des prochaines lois de finances.
Ces remarques étant faites, il s'agit clairement d'une évolution favorable pour les entrepreneurs de la Tech qui veulent ré-investir dans le secteur qu'ils connaissent et apprécient. En complément, cette évolution ouvre également la possibilité pour des entrepreneurs plus traditionnels d'accéder en ré-investissement au secteur de la Tech très difficile à appréhender lorsque l'on est un "outsider".
C'est également et enfin une modeste mais bonne nouvelle budgétaire: le manque à gagner pour l'Etat peut être considéré comme nul puisque les entrepreneurs en situation de ré-investissement auraient de toute façon ré-investi - ils ont là une opportunité de le faire dans des entreprises (celles financées par le capital-investissement) dont on sait qu'elles connaissent des croissances et des créations d'emploi supérieures au reste de l'économie.
Croissance additionnelle et création d'emplois rimeront évidemment avec incréments de rentrées fiscales et sociales pour l'Etat et nos systèmes sociaux. Un bon message par les temps qui courent ! ;-)
Je terminerai ce post par deux éléments:
Même si ce sujet n'est pas une réforme lourde, elle constitue une évolution très satisfaisante pour le "lobbyiste" que je suis devenu au travers de France Digitale. Cette évolution fait partie des éléments qui permettent de rendre notre écosystème Tech mieux financé, plus attractif et par conséquent plus pérenne. Tels sont bien les objectifs de France Digitale.
Le mécanisme d'apport-cession via holding reste trop complexe ou coûteux pour des populations de "petits co-fondateurs" ou de "petits business angels". Le Compte PME Innovation qui aurait pu constituer une solution alternative, a été, de fait de son inutile complexité, un total fiasco. Il nous semble qu'il reste un chantier pour encourager le ré-investissement par ces acteurs. Peut-être cela viendra-t-il d'évolutions à venir du PEA PME (déjà objet de quelques retouches au sein de la loi Pacte) ? Nous allons y travailler... C'est promis !
Jean-David Chamboredon
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