Et si la crise offrait l’opportunité aux fonds de Tech Growth de proposer du capital continuité aux entrepreneurs ?


Les 10 dernières semaines ont été, pour les fonds et leurs participations, un séisme d’une magnitude jamais observée même par ceux qui, comme moi, ont vécu l’éclatement de la bulle internet/telecoms en 2000.

Chacun a dû très rapidement repenser sa manière de fonctionner et commencer à ré-imaginer sa propre trajectoire à la lumière d’un climat d’incertitudes rarement vécu.

Chez ISAI Expansion (le nom de nos activités Growth & LBO), notre modèle est d'aider les entrepreneurs à créer de la valeur sur le long terme et je souhaite partager certaines des réflexions qui ont été les nôtres à la création de notre fonds et qui peut-être prennent un sens nouveau aujourd'hui.

Pour commencer, nous sommes convaincus que la série ininterrompue de presque 12 ans de « quo non ascendet ? » ne va pas revenir en peu de temps et que notre métier d’investisseur et la trajectoire de beaucoup d’entrepreneurs que nous soutenons vont fondamentalement devoir évoluer.

Notamment, il semble que la logique de « croissance à tout-va / trajectoire licorne », entretenue par des tours de table successifs agressifs, des temps de cycle toujours plus courts, ne va plus être accessible à autant d’entrepreneurs. Évidemment, et souhaitons-le, il restera toujours une frange de sociétés exceptionnelles à vocation mondiale, à l’image d’un Content Square ou d’un BlaBlaCar. Mais nous devrions constater, sans surprise, que ce genre de trajectoire va devenir plus sélective, moins généreusement financée, avec une liquidité différée et une vigilance plus importante sur les modèles économiques.

Dans un contexte d’incertitude extrême, on voit déjà pointer le retour en grâce de la rentabilité, rendu d’autant plus indispensable que des milliers de sociétés de la FrenchTech se retrouvent bien involontairement dans une situation de potentiel surendettement, suite aux afflux massifs (et salvateurs !) des prêts PGE, Atout, etc. Beaucoup de sociétés risquent de découvrir que pertes chroniques et endettement ne font pas nécessairement bon ménage et on va donc assister à de longs débats dans les Boards pour déterminer quelle trajectoire adopter face à ce risque nouveau.

Envisager rapidement une sortie ? Pourquoi pas mais quels vont être les canons de beauté revisités des industriels en fonction de leur propre situation face à la crise ? Quels vont être les nouveaux benchmarks de valorisation ? Sortie en LBO « Tech » ; là encore pourquoi pas mais la « barre » va être plus haute et demeure entière la question de la disponibilité de la dette pour des LBO !

Comme pour la « trajectoire licorne », il y aura, concernant les sorties à court terme, beaucoup d’appelés mais probablement peu d’élus.

Que va-t-il donc se passer pour la majorité des sociétés de la FrenchTech ? Quelles options raisonnables vont s’offrir à elles dans ce contexte post-Covid ?

Parmi les options possibles, il nous semble que celle d’une réorientation stratégique vers une logique de plus juste équilibre entre croissance et rentabilité peut, dans certains cas, faire beaucoup de sens.

Avant tout, cette crise aura l’immense mérite de pousser au réalisme quant aux ambitions que l’entreprise peut avoir sur son marché adressable. Cela peut paraître sévère mais nous pensons sincèrement que le contexte pré-crise euphorique d’argent pas toujours sélectif a gommé certaines réalités fondamentales, notamment sur le fait que toute société n’a pas vocation à devenir une licorne.

Chez ISAI Expansion, nous soutenons tous les jours de très belles sociétés qui ne sont pas des licornes mais qui sont de magnifiques aventures entrepreneuriales, qui créent de l’emploi pérenne et qui permettent à leurs fondateurs et dirigeants de récolter les fruits capitalistiques de leurs efforts et de leur prise de risque.

Face à ce constat, demeurent deux questions essentielles :

  1. Pourquoi atteindre la rentabilité ?

  2. Comment financer cette trajectoire vers la rentabilité ?

Sur la première, un élément de réponse fondamental est que la rentabilité est le critère essentiel pour permettre à un entrepreneur de s’acheter du temps, dans un contexte où il va en falloir pour ne pas prendre de décisions hâtives et destructrices de valeur.

Se diriger vers la rentabilité doit malgré tout s’accompagner des moyens d’entretenir un bon niveau de croissance, qu’elle soit organique mais aussi par build-up. En effet, une société rentable se voit offrir plus de moyens de financer la consolidation de son marché ce qui peut constituer un superbe vecteur de création de valeur.

Enfin, devenir rentable ouvre la porte à des sorties de type LBO Tech dont les 10 dernières années ont montré qu’ils peuvent être aussi rémunérateurs qu’une sortie stratégique auprès d’un industriel.

Concernant la 2ème interrogation de fond, comment financer cette trajectoire vers la rentabilité tout en alimentant la croissance et en renforçant ses fonds propres suite à l’épisode de surendettement forcé que nous venons de connaître ?

 A cette question, il nous semble qu’il existe 3 options principales :

  • Si la fameuse « courbe en J » est courte et peu profonde, une option peut être de lever plus de dette (type Venture Loan) ou une forme de dette long terme (type OCs, quasi-equity). Au-delà du fait que ces instruments sont assez peu développés en France, il faut évidemment être conscient qu’on ajoute de la dette à la dette et qu’il faut donc être particulièrement confiant dans sa trajectoire pour aller vers cette solution non dilutive de type « bridge ».

  • Une autre option peut évidemment être de se retourner vers son pool de VCs dans une logique de tour interne. Malheureusement, pour des sociétés d’une certaine taille et qui ont déjà connu un cycle, on sait qu’il n’est pas évident de re-solliciter ses propres sponsors qui étaient plutôt dans une logique de sortie et de matérialisation de leur plus-value, au-delà même des critères classiques en la matière : besoin d’un tiers pour « faire la valo », volonté des VCs de conserver leur propre « dry powder » pour celles de leurs sociétés qui n’arriveront probablement pas à lever en externe, etc.

  • Enfin, une 3ème option consiste à faire appel à des fonds de Growth qui, en de pareilles circonstances, vont offrir du capital que l’on peut flatteusement qualifier, dans les circonstances actuelles, de Capital Continuité.

Cette option peut présenter plusieurs avantages significatifs :

  • En premier lieu, il s’agit de fonds propres qui viennent sécuriser / ré-équilibrer le bilan de la société en question pour le long terme ; et souvent pour des montants qui peuvent être très significatifs (plusieurs dizaines de mEUR).

  • Comme tout instrument « equity », aucune garantie (de type nantissement) n’est prise sur l’actif.

  • Au-delà du financement de la croissance jusqu’au breakeven, il peut aussi inclure du secondaire attractif pour certains des actionnaires existants (VC ou business-angels ou friends & family) ; cette opportunité de liquidité peut s’avérer très utile dans le contexte actuel et elle est essentielle pour s’assurer que tous les actionnaires restants seront partants pour la durée du cycle qui s’ouvre.

En résumé, nous imaginons volontiers que les produits de type Tech Growth vont rencontrer un succès renouvelé dans le contexte actuel.

En quelques mots, je tiens aussi à rappeler pourquoi, chez ISAI Expansion depuis bientôt 10 ans, nous faisons partie des rares acteurs français qui investissent sur ce type de thèse :

  • Ce type d’investissement nécessite d’avoir une culture hybride, Venture et LBO, top-line / croissance et EBITDA.

  • La culture LBO est essentielle pour pouvoir imaginer des solutions « techniques » à des problématiques de deal parfois complexes ; l’arsenal technique (OCs, valorisation à cliquets, rétrocession, etc) de ceux qui font du LBO est historiquement plus fourni que celui du Venture.

  • Il faut aussi une culture poussée des cycles Tech et de l’écosystème ainsi que de l’alignement d’intérêts entre entrepreneurs et investisseurs.

  • Et enfin, il nous est cher de continuer à innover et à trouver des solutions aux problèmes des entrepreneurs.

 

L’avenir va rapidement nous dire si nous sommes dans le vrai.

Pierre Martini