Du bénéfice de l’OBO pour les entrepreneurs du digital
L’annonce récente de la (belle) sortie de notre société lilloise, Hospimedia, de notre fonds de cap dev / LBO me pousse à écrire ce plaidoyer en faveur d’un outil encore peu connu des entrepreneurs du monde digital : l’OBO ou Owner Buy-Out.
Evidemment, ceux qui toujours eu pour seul prisme ou envie de faire une sortie de type cession industrielle s’interrogeront sur l’intérêt d’un tel mécanisme. Pourtant, pour des centaines d’autres, l’OBO, s’il était mieux connu et maîtrisé, pourrait constituer une étape remarquable dans leur parcours d’entrepreneur.
Pour commencer, rappelons quels sont les fondements d’une opération dite d’OBO.
Un OBO est une forme dérivée du familier LBO (Leveraged Buy-Out). Il consiste à racheter, via une holding de reprise, l’intégralité d’une société en utilisant i) un apport (ou roll-over), partiel ou total, de ceux qui veulent rester dans l’aventure (et notamment les fondateurs-dirigeants) ii) de l’effet de levier peu ou pas dilutif (dette bancaire, dette mezzanine, etc) et iii) des fonds propres supplémentaires apportés par un nouvel investisseur financier (le sponsor).
On comprend aisément qu’en jouant sur les différents paramètres, l’OBO permet de satisfaire une grande diversité d’objectifs :
Faire remonter au capital des fondateurs-dirigeants qui ont pu être très dilués dans le passé suite à différents tours de capital-risque. Le cas échéant, l’OBO est l’outil parfait pour les fondateurs-dirigeants qui souhaitent reprendre la majorité de la société qu’ils ont fondée.
Permettre aux fondateurs-dirigeants de réaliser une partie de leur capital (cashout) au sein d’une société qui a pu devenir (trop ?) importante dans leur patrimoine personnel. Je dois insister sur le fait qu’une réalisation capitalistique partielle peut, contrairement aux idées reçues, se révéler très bénéfique pour les entrepreneurs qui renouvellent ainsi leur capacité parfois un peu perdue au fil des années à prendre des risques.
« Aérer » les tours de table et organiser une rotation du capital en permettant à des business-angels historiques ou des fonds de capital-risque de sortir à de bonnes conditions financières (souvent sans garantie d’actif et de passif, ou du moins sans cash séquestré ; à bon entendeur…).
Et, évidemment, c’est une opportunité unique pour les cadres dirigeants non-fondateurs de monter au capital de la société qu’ils contribuent désormais à développer, et donc d’être pleinement associés à la création de valeur future.
Mais, plus que tout, un OBO est une opportunité de remettre la stratégie à plat et de définir un projet de croissance à 4 ou 5 ans, autour duquel les différentes parties prenantes seront alignées.
Last but not least, un OBO est souvent accompagné d’un management package mis en place par le sponsor et dont l’objectif est d’offrir une sur-rémunération capitalistique aux fondateurs-dirigeants en cas de surperformance de l’opération. Pour illustrer mon propos, un fonds de LBO comme celui que je gère recherche des returns inférieurs (typiquement 2,5-3x) à ceux de mes collègues du capital risque (10x) : les management packages peuvent donc se révéler très attractifs pour les dirigeants, plus susceptibles de toucher cette zone de superformance…
Une question qui revient souvent : « à qui s’adresse l’OBO ? »
Avant d’appréhender les questions évidentes de type financier, la première est de savoir si les fondateurs-dirigeants et l’équipe de management sont de vrais promoteurs d’une telle initiative : ils doivent être intimement convaincus qu’il reste beaucoup de valeur à créer dans le cadre d’un projet à 4 ou 5 ans, que ce n’est pas le bon moment pour vendre (même si certains actionnaires expriment un besoin de sortir), exprimer une ambition forte et une envie d’aller explorer des voies de croissance peu ou pas exploitées à date (l’international ou la croissance par acquisition par exemple). Et pour une certaine typologie de fondateurs-dirigeants qui n’ont jamais eu d’investisseurs professionnels à leur capital, faire entrer un fonds comme celui que je gère peut créer une vraie différence dans l’histoire de la société sur des sujets clefs comme la structuration, l’assistance à de la croissance externe ou, pour n’en citer qu’un supplémentaire, le pilotage du process de sortie assorti d’une valorisation optimisée.
Cette étape franchie, il convient évidemment de s’interroger sur l’éligibilité de la société à un OBO. La littérature sur les LBO enseigne que le business doit être stable et récurrent pour générer des cashflows prévisibles et relativement importants. Le L pour Leveraged rappelle qu’il faut rembourser la dette… Il faut évidemment respecter ces critères pour réaliser un OBO mais en réalité, certains peuvent se révéler incompatibles avec notre marché, plutôt volatil, du digital. Chez ISAI, nous avons mené un intense travail de réflexion et d’adaptation des pratiques du LBO aux spécificités du digital, de manière à permettre à des sociétés pure-players en forte croissance d’exécuter des OBO, sans que ces sociétés ne soient nécessairement extrêmement rentables. Une des idées clés réside autour du fait que l’effet de levier d’un OBO dans le digital peut et doit être structuré différemment de celui d’un LBO classique. En d’autres termes, la valeur vient de la croissance et non pas de l’effet de levier : il faut être capable de réagir très vite, et de pouvoir investir en cas d’évolution rapide du marché sur lequel on opère. Pour cela, il faut nécessairement envisager des effets de levier plus réduits et qui tirent peu sur les cash-flows de la société (en utilisant par exemple de la dette mezzanine in fine vs de la dette senior amortissable).
Que mes propos ne soient pas surinterprétés : toutes les sociétés du digital ne sont pas faites pour un OBO « de croissance ». Cependant, il est certain que cet outil gagnerait à être mieux connu par notre écosystème.
Chez ISAI, environ la moitié des opérations de notre fonds de cap dev / LBO sont consacrées à des OBO de croissance. Ce fut le cas notamment pour Hospimedia. Il est indiscutable que cet OBO a permis à ce pure-player de petite taille de construire une belle histoire de croissance, et de préparer une sortie stratégique qui aurait été difficilement envisageable il y a quelques années. L’expérience et la caution d’un fonds professionnel, son expertise sur les sujets de haut de bilan et, pour ISAI, son expertise unique du monde digital via ses 130 entrepreneurs-souscripteurs, peuvent faire la différence.
Bref, le OBO n’est peut-être pas approprié dans votre cas - mais cela vaut quand même la peine de prendre le temps de se poser la question.
Pierre Martini